Lors de ses vœux à la presse, le président de la République a annoncé la présentation prochaine d’un texte de loi pour lutter contre les fake news.
En première lecture, l’intention est louable et pertinente ; les fake news sont un risque pour la démocratie. Mais cela soulève trois – vraies – questions.
Terminées les fake news, mais… seulement en période électorale !
Les Macronleaks ont secoué les médias et il est incontestable que la capacité à influer sur les élections représente un vrai danger, mais comment justifier que ces agissements soient tolérables le reste du temps ?
Quand on sait l’importance que prennent les réseaux sociaux dans la communication des candidats et le poids qu’ils ont pesé dans les deux dernières élections US, on peut aussi s’interroger sur le niveau de contrôle qu’un gouvernement doit détenir dessus.
Barak Obama en a fait un usage plébiscité. C’était le « gentil » de l’histoire. Pour l’élection de Donald Trump, les bruits sont beaucoup moins sympathiques : les russes auraient tripoté les news, Facebook aurait servi de diffuseur de masse et les gens bien informés pensent même qu’un milliardaire proche de Trump aurait utilisé la data pour favoriser les républicains dans des états cruciaux.
Qui décide qu’une news est fake ? Dès qu’une info contrarie Donald Trump, il crie à la fake news, qu’il s’agisse d’émeutes raciales ou d’accointances avec les russes.
Et quelles seraient les conséquences d’une loi anti fake news ?
Si Emmanuel Macron est un « type bien », tout va bien tant qu’il est au commande, mais quid d’une telle loi si les leviers passent dans de mauvaises mains à l’élection suivante ? Ou si ses intentions à lui ne sont pas claires ? Qu’en est-il de la censure et du contrôle des réseaux sociaux ?
D’ailleurs le CSA serait sollicité dans le dispositif mis en place.
Ce qui nous amène au second sujet, l’efficacité potentielle de telles mesures.
L’analyse annuelle de Buzzfeed sur les fake news apporte un éclairage intéressant. Les 50 fake news les plus populaires de 2017 ont généré 23 M d’engagements (share, like…) soit 2M de plus qu’en 2016. Pourtant Facebook et Google ont mis en place du « fact checking ». Selon l’étude les rectificatifs ne génèrent que 0.5% des engagements, autant dire rien !
C’est peu surprenant. Que font nos enfants maintenant pour trouver l’orthographe d’un mot ou une forme grammaticale ? Ils tapent les versions possibles de l’expression dans Google et retiennent celle qui a le plus de résultats. La masse dicte le choix. On parle ici de 400 000 engagements en moyenne par news. De quoi peser sur un internaute qui cherche à démêler le vrai du faux. Que pourra réellement faire le CSA contre cela ?
Même en intervenant à la source, comment obligera-t-il les plateformes US à se plier à une loi locale ? Le droit à l’oubli a prouvé qu’il était difficile de contraindre un opérateur transnational comme Google à appliquer une politique homogène. Et pour mémoire la bonne volonté de Google n’était pas seule en cause. Les lois pour certains actes sont différentes d’un pays à l’autre ; les réseaux sont mondiaux.
Le troisième point, c’est la transparence demandée aux plateformes vis à vis des annonceurs qui promeuvent des fake news avec des contenus sponsorisés.
La place du media payant dans ces processus est réelle puisque les contenus sponsorisés permettent de diriger du trafic rapidement sur un contenu. Mais ils sont loin d’être la seule solution. Et les « malfaisants » usent d’expédients qui se moquent des contrôles ou de la transparence. Toutes les mafias piratent des comptes qui ne leur appartiennent pas.
Auparavant le monde tournait à deux vitesses. L’essentiel du trafic passait par Google, via les liens sponsorisés ou les liens naturels. Positionner un contenu naturel demandait du temps et de l’anticipation mais les résultats étaient pérennes. Les liens sponsorisés, quant à eux, permettaient d’intervenir dans des situations d’urgence, pour gérer une communication de crise.
Aujourd’hui ce sont les réseaux sociaux qui assurent la propagation rapide. Et pas seulement payante.
Il est facile d’user de profils factices pour lancer une fake news. Et pensez aux tweets de l’actuel président américain ! La constante de temps de cette propagation est de l’ordre de 24 heures. Le délai judiciaire, même dans le cadre d’un référé, sera trop long pour agir.
En résumé, plus les instigateurs de fake news sont compétents – donc dangereux – moins un référé ou le CSA seront efficaces.
Contre des hackers russes qui voudraient déstabiliser les démocraties, une telle loi ne servira pas ; si on parle des officines politiques qui achetaient chez Google les noms des responsables du parti d’en face lors des deux dernières élections, cela pourra s’avérer dissuasif. Mais est-ce le principal danger des fake news ?
Ce qui nous ramène au sujet de l’intention.
Amodier un droit de la presse de 1881 fait sens dans l’absolu. Le diable est dans les détails.